Le Bon, la Brute et le Truand!

- french decision making helen pellerin situational awareness Mar 28, 2020

Québec, Canada, l’hiver! Un couple de sportifs se dirigeait de Québec vers le Parc National des Monts-Valin, un paradis pour la raquette. Ils suivaient les indications de leur GPS - Global Positioning System - jusqu'à ce que leur voiture se coince dans la neige… beaucoup de neige. Ils tentent alors de dégager la voiture en pelletant, mais c’est peine perdue… la voiture s’enlise de plus en plus… Ils sont coincés dans une piste de motoneige! Comment cela a-t-il pu arriver? Pourtant, ils suivaient strictement les indications du GPS!

 

En fait, c’est peut-être la raison… ils suivaient strictement les indications du GPS. Ils se fiaient à leur outil de géolocalisation à 100%, sans se questionner… pire… sans réfléchir. Lorsque l'indication fut de tourner à gauche, ils ont fait confiance au GPS et ont obéi. Ils n'ont pas remarqué les changements dans la chaussée qui devenait complètement recouverte de neige, ni les poteaux rouges et bleus qui étaient apparus sur les côtés de la route depuis les 3 derniers kilomètres, délimitant la piste de motoneige. Lorsqu’ils ont réalisé la situation précaire dans laquelle ils étaient, ils ont voulu appeler à l’aide, mais dans cette région, il leur a fallu un peu plus de 2 heures de marche afin d’obtenir un signal cellulaire. Il a ensuite fallu 10 heures de plus pour les sortir de là… avec l'aide d'une équipe de motoneigistes et d'une surfaceuse. S'agissait-il du premier événement du genre? Malheureusement non. Un hiver sur deux, un événement similaire est relayé par les médias. Mais pourquoi donc? Quelle est la raison de ces événements improbables?

La réponse à cette question est ‘’l’automatisation’’. L'automatisation et la confiance qu’on lui porte. L'automatisation est la technologie par laquelle un processus ou une procédure est effectuée avec une assistance humaine minimale. L'automatisation est d'une grande utilité. Elle nous permet d'effectuer des tâches avec moins d'effort, en moins de temps, avec un degré de qualité, d'exactitude et de précision plus élevé et avec moins d'erreurs. Que pourrions-nous demander de plus? Malheureusement, cela a aussi un coût: l'absence de la nécessité pour l'humain d'être conscient de son environnement et l'absence de la nécessité de comprendre les principes sous-jacents au bon fonctionnement de l’outil technologique. Et si nous tombons dans ces pièges, les conséquences peuvent être majeures. L'automatisation se traduit trop souvent par un arrêt de surveillance. Nous arrêtons d’enregistrer les nouvelles informations provenant de l'environnement, ce qui signifie que nous arrêtons de construire des modèles mentaux. Nous arrêtons d’apprendre activement. Nous devenons dépendants de la technologie. Nous ne remettons pas en question l’outil et nous lui obéissons aveuglément. De plus, si l'aide ou l'outil automatisé tombe en panne, nous ne sommes pas en mesure de compenser sa perte. Plus nous sommes habitués à travailler avec un équipement automatisé, moins nous sommes prêts à travailler sans lui à pied levé.

Dans l’événement décrit ci-dessus, le couple n'avait pas pris le temps de planifier son itinéraire avec une carte routière avant le départ et n'avaient pas vraiment regardé le trajet. Ils n'avaient aucun point de repère pour les aider à demeurer sur la bonne route ou pour confirmer qu'ils étaient dans la bonne direction. De plus, ils ont tellement fait confiance au GPS qu'ils n'ont pas pensé à le remettre en question lorsqu’il leur a indiqué de tourner vers une route recouverte de neige.

 

Mais qu'est-ce que cette histoire a en commun avec la plongée? Nous avons des considérations similaires en plongée où nous faisons confiance à l’automatisation et aux outils technologiques. Évidemment, je fais référence ici aux ordinateurs de plongée. À quand remonte la dernière fois où vous avez planifié une plongée avec les tables de plongée? Probablement à très longtemps… La plupart des plongeurs se fient à leur ordinateur pour les guider dans leurs plongées récréatives. C'est tout à fait compréhensible et c’est aussi une très bonne pratique - les ordinateurs sont beaucoup plus précis que les tables de plongée. L’ordinateur calcule la limite de non-décompression en temps réel, en tenant compte de la profondeur exacte à laquelle nous nous trouvons et du temps exact que nous y avons passé. Par conséquent, il n'y a pas d’estimation et nous pouvons maximiser notre temps à n'importe quelle profondeur. En revanche, le calcul avec les tables de plongée est une approximation et nécessite de prévoir le temps et la profondeur de la plongée afin de permettre l’estimation de la limite de non-décompression. De plus, il n'y a pas de moyen facile d'adapter le plan pendant la plongée. Cependant, les ordinateurs de plongée ont aussi leurs limites. Si votre ordinateur s’arrête pendant la plongée, quel est votre plan de secours? Avez-vous une autre façon de calculer la durée de votre plongée et de mesurer votre profondeur? Êtes-vous prêt à réagir de manière appropriée et sécuritaire en cas de panne de votre ordinateur? Lorsque vous avez débuté votre plongée, aviez-vous une bonne idée de la profondeur et de la durée de votre plongée, ou alliez-vous simplement vous promener en regardant les poissons et les coraux jusqu'à ce que votre ordinateur vous dise ’’il est temps de faire surface’’? Planifier sa plongée, même s'il ne s'agit que d'une estimation grossière, est un excellent moyen d'être minimalement prêt à prendre en charge sa plongée en cas de panne de son ordinateur.

Une autre limite des ordinateurs est qu'il nous distrait de suivre de près les signaux plus subtils liés aux changements de la profondeur. En effet, il est beaucoup plus facile de regarder son ordinateur afin de vérifier sa profondeur. Mais pour mieux contrôler sa plongée et mieux comprendre l'environnement sous-marin, il faut apprendre à ressentir les petites variations associées aux changements de profondeur. Nous devons les ressentir dans nos oreilles et dans notre combinaison étanche (drysuit). Nous pouvons les percevoir en regardant les sédiments qui se trouvent dans la colonne d'eau. Et ensuite, nous confirmons le changement de profondeur ou le maintien de la profondeur avec l’ordinateur. Pas l'inverse.

Voici une autre petite histoire. Deux de mes bons amis pêchaient des pétoncles. Ceux d'entre vous qui ont déjà participé à de telles plongées savent à quel point toute notre attention est captée par cette chasse et à quel point nous pouvons être compétitifs pour rapporter le plus gros sac de pétoncles! Les deux plongeurs avaient sauté à l'eau et s’affairaient à remplir leur sac de pétoncles, sans se soucier de rien d'autre. Au bout d'un moment, l'un des plongeurs a vu du coin de l'œil son ordinateur clignoter. En y regardant de plus près, il a vu que l’ordinateur indiquait qu'il avait dépassé la limite de non-décompression. Rapidement, il a signalé la situation à son binôme et lui a fait signe qu'ils devaient remonter. Le deuxième plongeur a regardé son propre ordinateur, et tout semblait correct – aucune alarme et encore environ 15 minutes avant d’atteindre la limite de non-décompression. Ils se sont disputés un peu sous l'eau, puis ils ont décidé de suivre l'ordinateur indiquant qu'ils avaient dépassé la limite de non-décompression. Ils ont fait une remontée lente, et ont fait les arrêts demandés par un des ordinateurs. Dès qu’ils ont fait surface, la discussion a repris de plus belle... ‘’Comment se fait-il que ton ordinateur affiche de la déco?’’ ‘’Quels types de paramètres as-tu entré?’’

Quelques minutes plus tard, alors qu'ils étaient maintenant assis dans le bateau, la question a été résolue. Malgré que les deux plongeurs respiraient de l’air, l’ordinateur du plongeur #1 était configuré en mode Nitrox 32, alors que l’ordinateur du plongeur #2 était configuré à l’air. N'eut été de son binôme, le plongeur #1 aurait dépassé sa limite de non-décompression et aurait été à risque de subir un accident de décompression. Ceci illustre une autre faiblesse des ordinateurs: leur validité dépend des paramètres de leur configuration. Si vous entrez de mauvais paramètres, vous obtiendrez de fausses informations. Et ce n'est pas si facile d’élucider le tout après la plongée, alors imaginez pendant… Alors, comment peut-on s’assurer d'avoir entré les bons paramètres dans l’ordinateur? Confirmez-vous les paramètres de votre ordinateur lorsque vous faites vos vérifications pré-plongée?

Les ordinateurs de plongée (et tous les outils automatisés) sont très utiles. Ils nous facilitent la vie et nous permettent d’être plus rapides et plus précis - le Bon. Mais, nous devons faire attention à ne pas faire confiance aveuglément à ces outils, au risque de perdre notre capacité à comprendre et à surveiller notre environnement – la Brute. Et parfois, leur défaillance peut devenir l'étincelle déclenchant un incident ou pire un accident – le Truand. Nous devons être préparés à faire face à une défaillance de nos instruments et toujours avoir un plan de rechange prêt. En résumé, nous pouvons adopter la technologie et l’utiliser, mais en s’assurant de toujours avoir les outils et les connaissances nécessaires pour pouvoir prendre le relais rapidement si nécessaire! Ne jamais faire aveuglément confiance à son ordinateur! 😉

 

par Hélène Pellerin, mars 2020

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Hélène Pellerin est de la ville de Québec au Canada. Elle est anesthésiologiste, professeure agrégée au sein du département d’anesthésiologie et de soins intensifs de l’Université Laval et instructeure au centre de simulation de la Faculté de médecine de l’Université Laval où elle enseigne la gestion des ressources de crise et le travail d’équipe. Le programme « The Human Diver » a été une occasion en or de développer ses intérêts envers les facteurs humains et les habiletés non techniques et de les appliquer à la plongée sous-marine. Une excellente façon d’intégrer ses intérêts professionnels à sa passion pour la plongée.

Hélène est une plongeuse GUE TEC 1, une divemaster PADI et une instructeure du cours de réanimation cardio-respiratoire et de premiers soins de PADI (Emergency First Response). Elle a cumulé plus de 300 plongées au cours des 5 dernières années. Elle plonge surtout dans les eaux froides du St-Laurent au Québec et en Ontario, mais apprécie aussi les plongées en eau chaude. Elle aime les plongées en mer et les plongées d’épave. L’application des habiletés non techniques à la plongée a retenu son attention. Comprendre la nature de la performance humaine et développer des outils pour l’améliorer afin de diminuer les erreurs et d’augmenter la sécurité de la plongée est un des champs d’intérêts les plus intéressant de la plongée moderne. Son objectif est de promouvoir le développement d’une « culture de sécurité » en partageant ses connaissances et en enseignant les habiletés non techniques aux plongeurs de tous les niveaux.